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Pâté de foie gras en croûte de Strasbourg
Entrées & hors-d'œuvre
Qu’il soit d’Alsace, du Sud-Ouest ou même d’ailleurs, le foie gras a une histoire qui remonte bien au-delà de l’époque où se sont formés les contours de nos provinces et de nos terroirs.
Les Egyptiens avaient observé que les oies qui se gavaient (de façon tout à fait naturelle) pour faire provision d’énergie avant leur migration, avaient un foie bien plus gouteux que les autres. Ils conçurent les premières fermes à volailles connues et se mirent à les engraisser pour en accélérer le processus, tout à fait naturel au départ. Les méthodes d’élevage des oies progressaient ensuite tant chez les Grecs que chez les Romains. Ces derniers sont devenus des amateurs inconditionnels du foie gras et gavaient leurs oies avec des figues. Le terme « foie » vient d’ailleurs du latin ficatum, « de figues » et le tout premier exemple lexical que nous soumet le dictionnaire Petit Robert pour le terme foie est « foie gras engraissé avec des figues ». On en trouve des traces dans la littérature antique chez le général romain Lucullus qui en était grand amateur, des recettes signées Apicius et chez Tite-Live qui nous narra les fameuses oies du Capitole qui sauvèrent les Romains d’une attaque Gauloise. Sachant que la Gaule d’aujourd’hui est la première nation productrice de foie gras peut-être peut-on y voir une certaine forme de revanche. L’agronome Columelle (1er s. ap JC) préconisait d’engraisser les oies avec du gruau et de la fleur de farine trois fois par jour en les tenant enfermées dans un lieu chaud et obscur.
Le Pâté de foie gras en croûte de Strasbourg, une spécialité du Kochersberg !
Kochersberg
Après avoir rendu à César ce qui appartient à César intéressons-nous au pâté de foie gras de Strasbourg, puis plus généralement au foie gras d’Alsace. Dès la fin du moyen âge, la coutume du gavage des oies s’était répandue dans toute l’Europe de l’est, de l’Alsace à l’Oural du fait de la communauté juive qui utilisait la graisse d'oie pour la cuisson. En Alsace, la première règlementation visant à limiter les élevages et gavages d’oie remonte à 1708. Jean-Pierre Clause, cuisinier lorrain au service du Maréchal de Contades, créa le fameux pâté de foie gras de Strasbourg vers 1788. La légende rapporte que Louis XVI fut conquis par ce met et octroya au Maréchal une terre en Picardie et quelques gratifications sonnantes et trébuchantes au cuisinier. Brillat-Savarin, avocat épicurien, contemporain de Clause et auteur de "La Physiologie du Goût" y évoque (page 169) un gibraltar de foie gras de Strasbourg. On peut imaginer que le pâté avait une certaine hauteur pour être ainsi comparé au fameux rocher.
Clause, qui s’est installé à son compte pour produire sa création fut rapidement imité et on dénombrait au début du XVIIIème siècle plus d’une centaine de producteurs de foie gras à et autour de Strasbourg. Strasbourg était alors considéré comme la capitale du foie gras qui devient rapidement un met de "luxe" dont les cours royales d’Europe se régalèrent.
On ne peut pour autant attribuer l’invention du foie gras moderne à l’Alsace. On cuisinait le foie gras à Paris au XVII ème siècle comme en atteste le « Traité Pour La Véritable Méthode … » de Pierre de Lune en 1656, écuyer de feu M. le Duc de Rohan. Le livre « Le Cuisinier Gascon » paru en 1747, propose quant à lui une recette de « foie gras en croûte » et « le Dictionnaire portatif de Cuisine » de Lottin le Jeune, dans son édition de 1772 indique vers la page 490 que pour deux livres de truffes, il faut mettre douze foies gras, trois livres de panne de porc, persil, ciboules et champignons, qu’il faut hachez le tout, et dresser un pâté de la hauteur qu’il faut, pour y faire entrer votre mixtion ! Déduisons tout simplement qu’à cette époque le génie commercial et industriel brillait un peu plus du côté de Strasbourg que de Périgueux. Le temps a un peu remis les pendules à l’heure, du moins pour ce qui concerne le foie gras.
La publication, en juin 1810, de L'Art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales de Nicolas Appert booste littéralement la commercialisation du foie gras de Strasbourg en terrine dont une trentaine de maisons en font leur spécialité. Les foies crus quant à eux prennent le chemin de Paris où pâtissiers et traiteurs se familiarisent avec cette nouvelle spécialité, entrainant ainsi le développement de l’élevage et du gavage d’oies dans les fermes alsaciennes et notamment dans le Kochersberg du fait de sa proximité avec Strasbourg.
L’Alsace étant passée sous la souveraineté prussienne en 1871, la filière foie gras n’en est pas pour autant freinée. Auguste Michel aubergiste, fabricant de foie gras et mécène, en devient un élément moteur et fournit son lot de foie gras à chaque réunion de la Kunschthafe, (association de Kunscht, « art » et Hâfe, « marmite » , en alsacien) cercle, ou « Stammtisch » qui réunit artistes et intellectuels dans des soirées en langue française bravant l’usage germanique.
Jusqu’au début du 20ème siècle, le foie gras de Strasbourg était à son apogée, même Olida, l’ancêtre de Herta s’était mis au foie gras en boite. Mais les contrefaçons et importations d’oies notamment de Hongrie ont créé des doutes. Notons à ce sujet qu’il existe une jurisprudence à propos de l’appellation « foie gras de Strasbourg » et "foie gras d'Alsace" qui n'interdit pas cette dénomination eu égard au savoir-faire particulier et reconnu, à l’histoire et à la recette particulière de cette spécialité. Que les canetons proviennent de Vendée, les foies crus d'Alsace, du Sud-Ouest, ou de Hongrie, que la cardamome vienne du Kerala, le poivre du Sichuan et l’Armagnac… du Bas-Armagnac.
Après la première guerre mondiale l’élevage d’oies (celui de canards ne s’étant jamais réellement développé) est en chute libre en Alsace. En 1922 une délégation d’éleveurs de Dordogne, des Landes et du Gers vient à Strasbourg pour un congrès d’aviculteurs. Ils repartent avec un état précis et documenté de l’élevage et du gavage dans cette région. Des relations commerciales s’installent et les fabricants alsaciens commencent à s’approvisionner dans le Sud-Ouest pour leurs foies crus.
Un savoir-faire local se développe et bon nombre de villes du Sud-Ouest sont répertoriées par Curnonsky et De Croze dans leur « Trésor Gastronomique de France » bouclé en 1932 pour leurs spécialités de foie gras. Ainsi le foie gras à la Paloise, le foie gras de Caussade, de Moissac, le foie gras truffé de Couze-et-Saint-Front …etc , sans oublier les nombreuses déclinaisons périgourdines.
L’exode des alsaciens de 1940 a entrainé les strasbourgeois en Dordogne et des productions ont également été transférées. La deuxième guerre mondiale porte hélas à nouveau un coup rude à cette activité en Alsace alors qu’elle se développe considérablement dans tout le Sud-Ouest qui voit aussi se développer la vente par correspondance, avec des précurseurs comme La Comtesse du Barry (1908).
Dans les années 60 le foie gras de Strasbourg devient une sorte d’exception et un synonyme de luxe. Patricia, dans les Tontons Flingueurs s’adressant à son oncle Fernand, alias Lino Ventura, lui fait remarquer que le foie gras prévu au dîner auquel elle le convie avec son amant Antoine, vient de Strasbourg et qu’elle le paie un prix fou. Il faut dire que Georges Lautner était un grand amateur de foie gras de Strasbourg. A cette époque les producteurs ne sont plus qu’une dizaine. Et bon nombre, comme Gerst, Michel, Henry ou Artzner ont rejoint le leader Feyel qui connaitra des situations économiques mouvementées passant aux mains de différents actionnaires successifs lors de ces 40 dernières années.
De nos jours le canard domine la production française avec le mulard, croisement du Barbarie avec une cane de Rouen ou de Pékin plus lourde. Le canard a totalement changé la donne de l’industrialisation du gavage et de la transformation. Les canards sont gavés deux fois par jour pendant 12 à 13 jours, tandis que les oies nécessitent trois gavages par jour, pendant environ 17 jours.
70 % de la production française est réalisé par trois groupes, principalement issus de coopératives céréalières et notamment de maïs. Le foie gras de canard représente désormais 95% de la production. L’oie devient une exception et un produit haut de gamme, plus fin et surtout plus rare. L’Alsace ne produit aujourd’hui plus que 2% du foie gras français sur 20 000 tonnes au total.
Si deux maisons ( Feyel-Artzner (1803) et Bruck (1852) peuvent encore se targuer de porter l’héritage de leurs glorieux prédécesseurs strasbourgeois, onze « petits » producteurs alsaciens se sont regroupés sous la bannière Gänzeliesel et redonnent un vent de dynamisme à la production locale. Ceux-ci sont principalement basés dans les terroirs Kochersberg et Grand Ried (qui compte également les Foies Gras du Ried).
Il s’agit de :
LES FOIES GRAS LUCIEN DORIATH (SOULTZ LES BAINS)
EARL DU HÉRON CENDRÉ (BOOFZHEIM)
FERME VÉRONIQUE KLEIN (SCHNERSHEIM)
FERME MANG (BILWISHEIM)
FERME MEYER (SCHNERSHEIM)
LE GAVEUR DU KOCHERSBERG (WOELLENHEIM)
FERME SCHMITT (BISCHOFFSHEIM)
FERME BRUN (BLODELSHEIM)
FERME BERLING (DRUSENHEIM)
Les membres de l’association Gänzeliesel sont à la fois éleveurs et transformateurs. En maîtrisant l’ensemble de la chaîne de production, ils s’engagent autant sur le bien-être animal avec des pratiques d’élevage vertueuses (élevage en plein air, alimentation à base céréales sans OGM, pas d’utilisation d’activateurs de croissance) que sur la transformation des foies.
De nombreuses autres fermes ont raccroché la production de foie gras à leurs autres activités maraichères et d'élevage, comme la Ferme de la Plume d'Or à Dachstein.
A noter enfin la tentative récente d’Aline Meyer dans sa ferme d'Eberbach-Gundershoffen. Elle veut tendre vers l’élevage d’oies sans gavage, comptant sur leur instinct et l’envie de constituer des réserves énergétiques qui font grossir leurs foies. Ce qu’avaient finalement observé les Egyptiens ! A mi-chemin entre cette tendance au foie gras « naturel » et les méthodes de gavage traditionnelles il y a l’opiniâtreté d’un précurseur, Marcel Metzler, promoteur du mixte Canoie (moitié oie, moitié canard) et militant de l’oie en Alsace En partenariat avec le lycée agricole de Rouffach et sa ferme expérimentale, Marcel Metzler avait mené, avec deux cohortes d’oies, en 2016 puis 2017, une production prototype de foies bruts respectant les règles européennes et françaises (entre autres poids minimum des foies obtenus avant abattage, règles d’élevage responsable…), sans appel au gavage mécanique, et offrant aux volailles des nutriments exclusivement issus de l’agriculture biologique... Pour le moment, ce "foie gras naturel" n'a pas droit à l'appellation "foie gras", réservée aux animaux gavés, mais les traditions peuvent être bousculées, la tendance est au nature, le foie gras d’Alsace (et donc celui « de Strasbourg ») peut y retrouver ses lettres de noblesse.
Sources : Bernard Kuentz, Daniel Zenner